La chronique des îles
Il contemplait la mer. Perché sur un chaos glacé il observait le nord de l'horizon. Le coup de vent de la nuit avait laissé une mer étonnamment calme; elle scintillait en des milliers de miroirs brisés, soulevés de temps à autre par une houle venue du bout du monde. Que pouvait-il chercher dans de tels parages inhospitaliers, quelle crainte l'habitait pour qu'il scrute ainsi l'horizon ? Et soudain il le vit : c'était bien le gros oiseau blanc qu'il avait aperçu quelques jours plus tôt dans la tempête et qui à présent planait sur l'eau et se dirigeait vers son territoire. Que venait-il faire par là ce monstrueux animal dont le flanc était piqué de petits parasites ocre qui couraient près de l'implantation des ailes? Il tendit le cou pour mieux déceler les mouvements de l'étranger. Il n'y avait aucun doute à se faire il allait pénétrer sur son territoire et y apporter le malheur.
Il était vieux et las, les os rompus par le long voyage des jours précédents, il décida néanmoins qu'il lui fallait attaquer le premier. Il s'aida de la pente d'un bloc de glace pour se laisser glisser et prit son envol.
Lorsqu'il arriva près de la goélette, deux équipiers vêtus de cirés jaunes prenaient un troisième ris dans la grand voile car un violent grain venait de s'abattre sur le bateau. Ils le virent bien tourner plus d'une heure, dans le vent rugissant, au dessous du mât de misaine, mais ne comprirent pas son message. Il replia brusquement une dernière fois ses grandes ailes blanches et piqua sur le pont.
Ils poursuivaient la même course sans but autour du monde mais pour un territoire non indiqué sur les cartes marines, la goélette des hommes était devenue le cimetière de l'albatros.
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Note de l'auteur :
« La chronique des îles » est une série de petites nouvelles de rien...
Découvrez-en une chaque mois.